Les religions du ventre

Les religions du ventre

« Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas », la citation attribuée à André Malraux bien que ce dernier ne l’ait pas forcément prononcée en ces termes exacts, se révèle en tous cas plus vraie que jamais.

Nous vivons un siècle spirituel et surtout plein de contradictions ; entre actes de barbaries perpétrés au nom de Dieu (qui si on va un peu plus loin que l’analyse primaire sont en général plutôt motivés par le pouvoir et l’argent,) et autres mouvements antireligieux, l’athéisme aurait plutôt de quoi faire recette actuellement.

Cependant comme la nature a horreur du vide, nous vivons donc paradoxalement une époque extrêmement spirituelle. En effet, il semblerait que le fait de tourner le dos à des religions « classiques » donne naissance à de nouveaux courants spirituels, et je vais parler de courants spirituels alimentaires.

Il faut désormais choisir sa « religion du ventre », et au menu vous avez le choix entre végétarisme, véganisme, macrobiotisme, pescétarisme, flexitarisme, crudivorisme, locavorisme, alimentation paléo, alimentation bio, alimentation sans gluten, alimentation liquide censée remplacer nos repas, alimentation sans sucre, alimentation sans lactose.

A cela s’ajoute  la sacro-sainte saga des régimes Dukan, Cohen, Montignac, Atkins, IG , Fletcher, Ornish, protéiné, détox, dissocié, Pritikin, Scarsdale, chrono-nutrition,  méditerranéen, selon votre groupe sanguin,  ou encore anti-cancer  et la liste est loin d’être exhaustive !

Ce qui est étonnant c’est que l’on retrouve dans ces religions alimentaires le même prosélytisme que dans certaines religions. On va donc essayer de convertir  à grands renforts de photos instagrammées, de blogs, de tweets, d’appli,  d’émissions télévisées, de livres, de films Youtube et on tente de rallier à sa cause en jouant sur la peur, la culpabilité, l’affection ou la menace.

Derrière chaque religion alimentaire il y a des convictions et surtout une doctrine, et comme dans certaines religions, plus c’est extrême et contraignant, plus c’est attirant. Les disciples poussant parfois le trait jusqu’à se mettre dans des états proches de la flagellation alimentaire.

Ainsi, chaque religion du ventre semble-t-elle penser détenir LA vérité.

Alors qu’au sein des religions, l’alimentation était l’un des éléments régulé, contrôlé et codifié par une pensée spirituelle en particulier, c’est désormais la nourriture qui est devenue Religion.

Nous assistons donc à l’arrivée d’une véritable spiritualité alimentaire au sein de laquelle on retrouve courants de pensée, prédicateurs, lieux de culte, livres, stars, idoles, porte-parole, extrémistes, tolérants,  et surtout disciples et adeptes. Avec souvent en toile de fond ces notions de culpabilité et de mise à mal du plaisir.

Certains y trouvent une manière de se singulariser, mais tout en faisant partie d’une communauté. Internet a largement contribué à cela car vous pouvez être seul adepte de votre « religion » au sein de votre entourage immédiat tout en échangeant , partageant et vivant en complète harmonie avec d’autres personnes à travers le monde que vous ne rencontrerez peut-être jamais.

Cela répond finalement à un paradoxe très humain qui est celui d’avoir besoin de se sentir à la fois un peu unique mais tout en appartenant à une communauté, pour ne pas non plus paraître complètement seul et marginal.

Finalement, lorsque le gastronome Anthelme Brillat-Savarin écrivait “Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. il avait déjà tout dit.

Nous sommes plus que jamais entrés dans l’ère du “Je mange donc je suis”.

Cependant, ne perdons pas de vue lorsque cela devient trop extrême, que le sectarisme alimentaire n’est pas loin et que le jeu de ces pensées est parfois d’entretenir des gourous et associations qui ont beaucoup à gagner dans cette nouvelle guerre des ventres.

En effet nous sommes les enfants de la génération vache folle, poulet à la dioxine, grippe aviaire, peste porcine, steaks contaminés; de l’industrialisation alimentaire et de l’alimentation de masse. Nous sommes aussi les enfants du marketing et des lobbys.

Enfin nos pratiques alimentaires illustrent bien les caprices de sociétés qui vivent dans l’abondance et la surconsommation, alors avant de rejoindre n’importe quelle idéologie alimentaire qui sera aussi extrême que celle de l’alimentation de masse, posons-nous les bonnes questions et trouvons un juste compromis, un juste équilibre entre les choses, sinon nous n’aurons fait que passer d’un extrémisme à un autre.

Gardons également à l’esprit que lorsque nous décidons par caprice de nous gaver tout à coup de certains aliments,  puis de tout stopper subitement par un simple effet de mode, nous impactons parfois durablement le mode de vie de populations à l’autre bout de la planète dont la seule préoccupation est parfois simplement celle de se nourrir.

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